The Conversation : "Transports, communications… comment les tempêtes solaires interfèrent-elles avec les activités humaines ?"
L’évènement de référence en météorologie de l’espace est ce que l’on appelle « l’évènement Carrington ». En 1859, des aurores boréales ont été observées à très basses latitudes (jusqu’à Cuba), alors que ces phénomènes sont normalement localisés dans les régions polaires. À l’époque, la technologie se résumait presque essentiellement à l’utilisation de télégraphes, et ce sont ces derniers qui ont enregistré des perturbations lors de cet évènement. En effet, ils ont continué à envoyer des informations alors qu’ils étaient hors tension : on parlait de « batteries célestes », car ce sont les champs électriques provoqués par les aurores qui « alimentaient » les circuits.
D’autres évènements historiques sont également à mentionner, tels que celui de 1989, où le Québec s’est retrouvé privé d’électricité pendant plusieurs heures, ou encore le Halloween storm de 2003, où la ville de Malmö au sud de la Suède a subi les mêmes conséquences. En cause : les tempêtes solaires et leurs interactions avec notre planète Terre.
Comment le Soleil interagit-il avec la Terre ?
Le Soleil nous envoie constamment un rayonnement électromagnétique mais également des particules que l’on nomme le vent solaire. Ces particules sont majoritairement des électrons et des protons. Lorsque de grosses éruptions solaires se produisent, de grosses quantités de plasma (constitué de particules chargées) sont éjectées : ce sont des éjections de masses coronales. Lorsque celles-ci sont émises en direction de la Terre, elles vont tout d’abord rencontrer le champ magnétique terrestre, qui agit comme un bouclier nous protégeant de ces particules. Cependant, ces particules arrivent parfois à pénétrer cette barrière protectrice pour aller interagir avec notre haute atmosphère. C’est ce que l’on appelle les orages géomagnétiques.
C’est cette rencontre de particules chargées avec les molécules et atomes de la haute atmosphère (comme l’oxygène et l’azote) qui est à l’origine du phénomène lumineux des aurores polaires. Ces aurores sont donc le témoin visible à l’œil nu que cette interaction Soleil-Terre existe bel et bien.
La grande difficulté que rencontrent les scientifiques aujourd’hui est que ces éjections de masses coronales sont difficilement prédictibles. Il est donc difficile de savoir quand elles se produiront et si elles auront un impact ou non sur la Terre. Nous savons cependant que l’activité du Soleil suit un cycle d’environ 11 ans avec un pic d’activité maximum au milieu du cycle. C’est dans cette période d’activité maximale que l’on observe le plus d’éruptions solaires. Nous sommes d’ailleurs en train de vivre le pic d’activité du cycle solaire actuel, dont le maximum est prévu pour 2025.
Au-delà de ce cycle, la présence de régions dites « actives » est un marqueur de la plus ou moins grande probabilité que le Soleil émette un tel flux de particules. On les appelle les taches solaires, car en lumière visible, elles apparaissent plus sombres que le reste du disque solaire. Il faut également qu’une telle tâche soit en face de la Terre pour que les particules qu’elle émet atteignent notre planète.
Maximum solaire et observations des aurores boréales aux basses latitudes : cela rappelle des événements récents. Le 10 mai 2024, nous avons en effet pu observer des aurores boréales jusqu’en France. Et ce sont bien plusieurs éjections de masses coronales émises en direction de la Terre qui sont à l’origine de ces aurores.
Concrètement, quels sont les effets sur Terre ?
Il y en a plusieurs. Les secteurs d’activités concernés sont nombreux et les systèmes sont concernés de différentes manières. Un premier exemple peut être donné avec les réseaux électriques qui sont impactés par ce qu’on appelle les courants induits géomagnetiquement, créés par les orages géomagnétiques. Ces courants viennent s’ajouter à ceux déjà présents dans les conducteurs, menant à des perturbations, et parfois même jusqu’au black-out des réseaux.
Mais les réseaux électriques ne sont pas les seuls concernés, les pipelines et le réseau ferroviaire le sont aussi. Un autre exemple qui peut être donné concerne l’aviation. Ce secteur peut être impacté par les particules de hautes énergies qui sont envoyées par le Soleil lors des éjections de masses coronales. En effet, ces particules peuvent directement pénétrer les systèmes des avions et provoquer des dégâts temporaires ou permanents. Ces mêmes particules peuvent irradier les passagers et les membres de l’équipage d’un avion en cas d’évènement géomagnétique majeur.
Un autre exemple qui peut être donné ici concerne les appareils de notre quotidien. Les téléphones portables, les montres connectées, nos voitures et bien d’autres, utilisent tous les systèmes de positionnement par satellite (comme le GPS ou son équivalent européen Galileo) pour pouvoir se géolocaliser. Ces systèmes peuvent être perturbés par les orages géomagnétiques, entraînant des erreurs de précision et des décalages de la position allant de quelques mètres à plusieurs centaines de mètres, ce qui peut être très problématique.
De la même façon, les communications par satellite et les communications à haute fréquence sont également impactées par les orages géomagnétiques, mais également par des sursauts du rayonnement solaire. Par conséquent, des secteurs comme le transport maritime, l’armée ou encore la finance se retrouvent également perturbés par ces évènements.
Adapter nos sociétés pour mieux prévenir les tempêtes solaires
Ces différentes perturbations peuvent avoir de lourdes conséquences économiques et sociales, entraînant également des réactions en cascades, étant donné que tous nos systèmes sont interconnectés. Par conséquent, si un réseau électrique se retrouve hors service, ce sont tous les systèmes dépendants de ces réseaux qui le seront aussi, entraînant des conséquences directes sur les infrastructures, mais également dans notre quotidien. Cela entraîne plusieurs questionnements : sommes-nous conscients de ce risque ? comment réagir si nos appareils technologiques ne fonctionnaient plus pendant plusieurs heures ou plusieurs jours, ou pire, si une région était privée d’électricité pendant une longue période ?
Toutes ces questions sont cruciales, et sont prises au sérieux par la communauté de la météorologie de l’espace, mais aussi par les gouvernements, qui développent en ce sens des solutions afin de prévenir ces risques et de minimiser les dégâts. C’est notamment cette prévention et la bonne prédiction de la NOAA, l’agence américaine chargée de l’observation de l’atmosphère et des océans, qui a permis aux opérateurs de limiter les dégâts lors de l’évènement du 10 mai 2024. Néanmoins, si les dégâts ont été limités pour cette fois, les conséquences seront peut-être différentes lors d’une prochaine éruption solaire plus sévère ou imprévisible par les scientifiques. Cela ne laisserait pas le temps aux opérateurs de mettre en place des mesures de sécurité, entraînant des dégâts certainement bien plus conséquents.
Toutes ces questions sont actuellement analysées de près à travers une étude financée par les assurances Axa. L’objectif étant de sensibiliser le secteur de l’assurance et le reste de la société à ces risques de météorologie de l’espace, afin de mieux les comprendre, mieux les prédire, quantifier leurs conséquences et les minimiser. Ainsi, de la même manière que nous regardons la météo pour savoir le temps qu’il fera, les scientifiques consultent des bulletins et des applications spécialisés les informant des prochaines tempêtes solaires. Peut-être aurons-nous tous bientôt sur nos téléphones des alertes à l’approche d’une tempête solaire.
Pour aller plus loin, vous pouvez écouter ce podcast produit par l’Observatoire des Sciences de l’Univers de Grenoble.
Créé en 2007 pour aider à accélérer et à partager les recherches scientifiques sur des enjeux sociétaux majeurs, le Fonds d’Axa pour la recherche soutient près de 720 projets dans le monde mené par des chercheurs issus de 39 pays. Pour en savoir plus, visiter le site axa-research.org ou bien suivez les nouvelles du Fonds sur @AXAResearchFund sur Linked In..
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Mis à jour le 20 septembre 2024
Les auteurs
Docteure en météorologie de l'espace
Université Grenoble Alpes (UGA)
Mathieu Barthélemy
Professeur, directeur adjoint du CSUG, directeur scientifique de la MPLS en Alpes Dauphiné
Université Grenoble Alpes (UGA)
The Conversation
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