Un nouveau matériau altermagnétique aux propriétés remarquables pour la spintronique

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le  17 juillet 2024
Des scientifiques du laboratoire de spintronique et technologie des composants de Grenoble, SPINTEC (CEA/CNRS/UGA) et du centre interdisciplinaire de nanosciences de Marseille, CINaM (Aix-Marseille Université / CNRS), au sein d'un consortium franco-germano-tchèque, ont démontré le caractère altermagnétique du matériau Mn5Si3, prouvant ainsi l’avantage incomparable de ce type de phase magnétique à aimantation nulle : les forts effets spintroniques associés reposent sur une physique non-relativiste.
L’altermagnétisme désigne une troisième classe de matériaux magnétiques. Elle complète et parfois supplante les deux classes usuelles : ferromagnétisme (ferrimagnétisme) et antiferromagnétisme, par sa capacité à polariser en spin un courant électrique bien que dépourvue d’aimantation. Un matériau altermagnétique est composé d'un ensemble de moments magnétiques orientés alternativement dans des directions opposées, comme un antiferromagnétique colinéaire. Bien que dépourvu d’aimantation, il polarise néanmoins le courant électrique par le biais d’un décalage des bandes électroniques des spins majoritaires et minoritaires, un peu comme un ferromagnétique, mais alternativement. Le secret tient au fait que contrairement à un antiferromagnétique, les deux sous-réseaux de moments qui composent l'altermagnétique n'ont pas le même environnement électronique de telle sorte qu’ils sont reliés par une symétrie de rotation et non plus de translation ou d’inversion. Plus généralement, vu par le prisme des groupes de symétries, les cristaux ferromagnétiques (ferrimagnétiques), antiferromagnétiques et altermagnétiques appartiennent à trois sous-groupes distincts.

Un altermagnétique combine donc les avantages des ferromagnétiques (capacité à polariser en spin un courant électrique) et des antiferromagnétiques (robustesse aux champs magnétiques et fréquences THz ultrarapides). La découverte de ce troisième type de magnétisme pourrait donc permettre de réaliser des dispositifs spintroniques plus performants (plus rapides et plus denses). Outre les propriétés susmentionnées, la configuration de spin des altermagnétiques leur confère des propriétés propres inaccessibles aux ferromagnétiques et antiferromagnétiques, telles que la compatibilité avec la supraconductivité polarisée en spin. La découverte de cette nouvelle classe de matériaux ouvre donc un tout nouveau monde de la physique et agite la communauté scientifique.

Pour l’heure, seuls quatre matériaux altermagnétiques ont été prouvés expérimentalement, dans l’ordre de découverte : RuO2 ; Mn5Si3 (notre étude) ; MnTe et CrSb. Parmi ces matériaux, le Mn5Si3 présente l’avantage incomparable d’être composé d’éléments à faible couplage spin-orbite, permettant de relier sans équivoque son caractère altermagnétique à l’entremêlement intrinsèque, non-relativiste, de la disposition des moments magnétiques par rapport à ses symétries cristallines. Autre avantage, et non des moindres, le Mn5Si3 est composé d’éléments abondants et peu onéreux. Théorie, fort effet Hall anormal en l’absence de champ magnétique et d’aimantation, doublé d’une claire influence de la cristallinité sont autant de signatures de l’altermagnétisme du Mn5Si3. Elles font l’objet du présent article pionnier dans le domaine, car prépublié dans arXiv à peine un an après la prédiction théorique de l’altermagnétisme.

Le consortium voit déjà plus loin sur de nombreux fronts : il propose, entre autre, une recette pour stabiliser la phase altermagnétique « sous contrainte » de Mn5Si3 (Phys. Rev. Materials 7, 024416 (2023)), démontre le caractère anisotrope de l’effet Hall anormal (arXiv:2401.02275 (2024)) ou encore l’effet Nernst malgré l’absence d’aimantation, autant d’autres signatures de l’altermagnétisme du Mn5Si3 (arXiv:2403.12929 (2024)) et propose des études connexes sur l’influence des symétries pour détecter les transitions de phases altermagnétiques (arXiv:2311.14498 (2024)).

Espace réel : Structure magnétique et cristalline du siliciure de manganèse Mn5Si3 altermagnétique dans laquelle 4 des 12 atomes de manganèse de la maille élémentaire hexagonale forment un ensemble de moments magnétiques colinéaires orientés alternativement dans des directions opposées (rouge et bleu) et reliés par une opération de symétrie de rotation de par l’anisotropie de leur environnement non-magnétique. Espace réciproque : décalage des bandes électroniques des spins (s_z) majoritaires et minoritaires (rouge et bleu), et conséquence sur la courbure de Berry (Omega_z) qui présente des points chauds, à l’origine de certains effets spintroniques comme par exemple l’effet Hall anormal. © H. Reichlova et al.
Espace réel : Structure magnétique et cristalline du siliciure de manganèse Mn5Si3 altermagnétique dans laquelle 4 des 12 atomes de manganèse de la maille élémentaire hexagonale forment un ensemble de moments magnétiques colinéaires orientés alternativement dans des directions opposées (rouge et bleu) et reliés par une opération de symétrie de rotation de par l’anisotropie de leur environnement non-magnétique. Espace réciproque : décalage des bandes électroniques des spins (s_z) majoritaires et minoritaires (rouge et bleu), et conséquence sur la courbure de Berry (Omega_z) qui présente des points chauds, à l’origine de certains effets spintroniques comme par exemple l’effet Hall anormal. © H. Reichlova et al.
Publié le  16 juillet 2024
Mis à jour le  16 juillet 2024