Pour répondre aux enjeux de la transition écologique, on convoque souvent la notion de « numérique frugal ». De quoi s’agit-il vraiment ?
Depuis près de vingt ans, le numérique est bien souvent décrit comme l’un des leviers de la transition écologique. Il permet entre autres la mise en place de plates-formes de covoiturage, du télétravail, l’optimisation de la consommation énergétique des bâtiments ou encore la surveillance des feux de forêt, etc. Mais les usages numériques s’assortissent aussi d’un certain nombre d’impacts environnementaux. Comment les concilier avec les enjeux de transition ? Pour répondre à cette question, la notion de « numérique frugal » est souvent convoquée. Mais qu’entend-on exactement par là ?
Rappelons d’abord que le numérique n’a rien de virtuel. Les Français et les Françaises sont équipés de nombreux dispositifs numériques- smartphones, téléviseurs connectés, tablettes et ordinateurs, enceintes et objets connectés, etc. – dont les usages reposent sur une infrastructure matérielle – capteurs, antennes 4G-5G, bornes wifi, centres de données, câbles enterrés… Tous ces équipements sont nécessaires pour le déploiement et l’utilisation des services numériques, que ce soit au sein d’applications mobiles, de services de l’état ou des collectivités.
À l’horizon 2030, si le secteur continue de progresser au rythme actuel, l’empreinte carbone du numérique sur le territoire français (en excluant, par exemple, l’utilisation des centres de données situés à l’étranger) augmentera d’environ 45 % par rapport à 2020, et la consommation de ressources abiotiques (métaux et minéraux) croîtra de 14 %.
À ce coût environnemental lié à la fabrication, l’utilisation et la fin de vie des équipements numériques, il convient d’ajouter les impacts dans les secteurs d’application, avec par exemple les conséquences de changements de comportement des utilisateurs (éloignement domicile-travail dans le cas du télétravail ou remplacement anticipé d’un smartphone après déploiement de la 5G) et des transformations sur la société, avec une accélération de la consommation de biens et services, par exemple.
Face au coût environnemental du numérique, il est nécessaire de s’interroger sur la façon de le limiter. Deux démarches complémentaires peuvent être entreprises : l’efficacité et la sobriété, ou frugalité.
-
La première vise à optimiser les ressources utilisées une fois le service conçu, voire même déployé. Il s’agit alors de produire un outil plus efficient c’est-à-dire qui offre le même service en utilisant moins de ressources.
-
La seconde démarche, de sobriété ou frugalité, a pour objectif la recherche de la suffisance (« sufficiency »). Elle vise à réduire globalement l’utilisation de ressources matérielles et énergétiques en questionnant les usages, l’organisation de la société, les besoins et les valeurs sous-jacentes. Elle ouvre la possibilité de ne pas déployer certains services, et de questionner certains modèles d’affaires.
S’attaquer à la frugalité d’un service numérique nécessite de prendre la mesure des implications de cette notion. Le raccourci fréquent consistant à réduire le numérique frugal à une simple recherche d’efficience énergétique et, parfois, matérielle du service lui-même, ouvre la porte aux discours de « greenwashing ».
Évaluer la frugalité d’un service numérique nécessite ainsi d’interroger les usages et les besoins, en lien avec les limites planétaires et d’évaluer l’efficacité du système.
Cette évaluation ne peut être que relative (en comparant deux systèmes équivalents) et non absolue. Elle doit s’appuyer sur des méthodologies établies pour jauger quantitativement et qualitativement les impacts environnementaux, par exemple le référentiel général d’éco-conception des services numériques ou les normes ISO d’Analyse de cycle de vie et des impacts du numérique, et être mise en regard du service rendu à la société et à l’environnement. Signalons également le référentiel général pour l’IA frugale dans la Spec AFNOR 2314.
Définir un service comme étant « à impact positif » nécessiterait d’effectuer cette évaluation environnementale complète et de décider d’un compromis entre différents indicateurs d’impact (pollution des eaux, des sols, destruction des ressources abiotiques, émissions de gaz à effet de serre, etc.). Cela va bien au-delà du constat d’un simple gain d’efficacité.
Cet article s’intègre dans la série « L’envers des mots », consacrée à la façon dont notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte à mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ?
De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », nos chercheurs s’arrêtent sur ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public. À découvrir aussi dans cette série :
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.